Contraste dissemblant

Contraste dissemblant

Elle est une de ces jeunes filles à la beauté pure et fade. Une de ces jeunes filles qui passent inaperçues dans la fleur de leur charme, qui ne se détachent pas de la meute avare et cancanière. Elle se fond ; elle se camoufle malgré tout. Elle est la discrétion même ; elle épouse les formes de l’ombre, le devient ; en porte la marque. Mais ce fardeau ne l’encombre pas ni n’est délice. C’est une boisson qu’elle porte machinalement à ses lèvres chaque jour ; un voile dont elle se couvre le visage pour se dissimuler ; pour tromper.

Elle n’est ni belle ni laide. Beauté parmi la laideur, affreuseté dans l’attrayant. Elle ne se plait pas ni se glorifie. Elle est l’ignorance ; l’innocence de la glace ; le miroir des fragilités. Elle marche sans courber l’échine, ses yeux fixent l’horizon sans regarder le ciel. Il est trop haut, pas assez bas.

Et lui, l’homme, le pouvoir maître de ces lieux, sent son cœur se déchirer à la vue de cette jeune fille en bouton. Il ne comprend pas ce qui se passe ; il fabule ; il délire. Il ne cesse de la regarder, de croiser les bras, de toucher l’anneau à son pouce : un magnifique rubis monté sur un cercle d’or. Il a l’impression qu’elle lui fait mal aux yeux, il a envie de vomir. Cependant, en même temps, elle le réchauffe de l’intérieur, il a besoin de sa compagnie, il a besoin de la sentir faible et lui, fort. Il a besoin de ses pleurs enfantins, de sa joie candide, de sa fluidité, de son assurance maternelle lors de ses crises d’angoisse. Il a besoin de se sentir écouté ; de se sentir aimé.

Et elle, la femme épanouissante, ne le remarque pas, prise dans la masse ; entourée de ses geôlières d’amies. Elle est banale, parfaite, horrible et immaculée.

Elle est Caïn, elle est la Sainte Vierge, elle est Gabriel et Satan.

Son nom frémit ; se détache de la meute. Il ne semble pas fait pour elle ; à la fois oui et non. Il est prétentieux, alors qu’elle ne l’est pas, et si commun, ce qu’elle est en vérité.

Il relève la tête bien haute, espérant que son regard ; ses deux pierres précieuses – des bronzites – quitte l’horizon pour les cieux.

Ou du moins, pour son visage.

Son nom voyage toujours d’oreille à oreille, alors qu’il espère qu’elle le voit. Juste un coup d’oeil ; la pupille qui capte son image et qui le préserve une demi-seconde. Et là, abasourdi, il entend :

-Jennyfer!

Elle se retourne, humecte ses lèvres, ses mains potelées resserrent les cartables sur sa poitrine.

Elle se livre, elle est délicieuse, prête à cueillir.

L’homme s’aperçoit de son erreur, il ne s’agit pas d’une de ces amies, cette voix appelle au-delà de la masse féminine.

Elle est une de ces jeunes filles à la douceur connue, à la banalité humaine. À la laideur et à la beauté unique.

-Bonjour prof! salua celui qui l’avait appelé.

Il cesse de tourner l’anneau d’or autour de son pouce et sourit à l’élève : ce bellâtre, dompteur de femmes et de chiffres. Ce garçon qui a osé mordre sa main voyageuse à la sienne. L’homme espère qu’elle le regarde ; que cette perle tombée dans l’escroquerie se refuge dans ses bras expérimentés.

La vie en a décidé autrement.

Leurs pas dépassent le bureau du maître de la classe, leur jeunesse inconsciente suivant leurs silhouettes fraîches. L’homme mord ses lèvres lorsqu’elle le quitte, ayant dans l’esprit qu’elle va être loin de lui, et qu’un été chaud s’annonce très prochainement.