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 Complainte d’un arbrisseau parisien

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AuteurMessage
oshodani
Scribe



Nombre de messages : 3
Date d'inscription : 03/05/2007

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MessageSujet: Complainte d’un arbrisseau parisien   Complainte d’un arbrisseau parisien Icon_minitimeDim 9 Mar - 1:53

Note de Samaal: Ce texte a été le deuxième gagnant d'un concours sur le thème: histoire végétale.




Et voilà ! Comme tous les jours, le train-train qui recommence. Et je peux vous dire que ce n’est pas de tout repos pour moi. A croire qu’ils se sont ligués pour m’anéantir. Remarquez, c’est ce qu’ils font avec ceux de mon espèce. On n’est d’ailleurs plus très nombreux dans le coin. Pourtant, c’est pas comme si je gênais, avec mon centimètre et demi !
C’est toujours le même refrain. Le soleil n’est pas encore levé que le camion qui pue débarque. Déjà, j’ai de la chance si les jeunes du premier ne m’ont pas posé dessus leur sac dégoulinant de gras et de fonds de bouteilles brisées. Enfin de la chance... C’est soit le sac dès la veille, soit le pied de l’éboueur qui l’attrape. Entre dix kilos toute la nuit sur les feuilles (même si j’admets que le mot feuille est un peu prétentieux vu mon stade de développement) ou quatre-vingts pendant quelques secondes, j’arrive pas à me décider. Dans les deux cas, mes pousses en ressortent toute fripées.
Enfin, comme l’a dit Jenifer ou Amel Bent (je fais pas bien la différence... nous les plantes n’avons pas d’oreilles à proprement parlé, on ressent surtout les vibrations), ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts (je remercie au passage les jeunes du premier, leurs fenêtres ouvertes et leur télé bruyante pour m’avoir apporté toute ma culture). Et fort, je devrais drôlement l’être ! Parce qu’à peine le camion qui pue disparu au coin du bloc, c’est la pétasse du cinquième qui descend son chien. Vous trouverez peut-être ce surnom un peu véhément, il n’est pas de moi, mais des jeunes du premier. A force de l’entendre, j’ai fini par l’adopter. Moi, je suis mal placé pour dire quoique ce soit sur les fréquentations de cette dame, elle habite bien trop haut pour que je puisse percevoir le moindre écho de son mode de vie. Si je faisais la taille de mon papa, dont les racines sont solidement plantées dans un cercle de terre à quelques mètres des miennes, je pourrais peut-être juger mais là...
Mais revenons-en au chien puisque c’est lui le motif de mes griefs. La première fois que je l’ai vu, je l’ai pris pour un rat. Petit, malingre, le poil court et des gros yeux surmontant un museau pointu. Les rats, je n’ai rien contre eux. Ils me laissent en paix. Et je ne comprends pas pourquoi les humains crient chaque fois qu’ils en croisent un. Personnellement, je trouve les pucerons et les chenilles bien plus terrifiants (même si mon lieu d’habitation me préserve de trop les rencontrer). Croyez-moi, j’ai vite réalisé mon erreur. Il a suffit d’une patte levée et d’un jet ammoniaqué ! C’est qu’il est large le trottoir ! Et c’est qu’il y en a d’autres des arbres, plus grands et plus forts sur le boulevard mais non, c’est moi qu’il a choisi. Mille mercis, c’est trop d’honneurs ! Et depuis, c’est tous les clébards du quartier qui m’offrent des douches gratos. J’le retiens, ce chihuahua de malheur ! Quand je serai plus haut, je lui ferai tomber une branche dessus au premier coup de vent !
Mais la journée est loin d’être finie. Une fois débarbouillé, si l’on peut dire, c’est la valse des pieds. Les petits, les grands, les fins, les larges, les talons, les tennis, les pressés, les flâneurs, tout y est ! Certes, les pressés, on les retrouvent surtout en début de matinée ou en fin de soirée, horaires de bureau obligent, n’empêche que je suis devenu un spécialiste des semelles. Je dois cependant admettre qu’ils sont un peu moins nombreux ces derniers temps. J’ai l’impression qu’ils se sont tous mis au vélo... Grand bien leur fasse ! Ca me fait autant de chocs en moins à supporter.
Mais ceux que je déteste le plus en cette période, ce sont les livreurs. Ceux qui, en scooter ou en mobylette, se permettent de rouler sur les trottoirs quand la rue est trop bouchée ! Combien de fois j’ai cru me faire arracher de mes racines par une roue rugueuse ! Mais j’ai tenu bon et je suis encore là aujourd’hui ! Ha ! Ce qui ne me tue pas me rend plus fort ! (Oui, je sais, je me répète, mais quand on vit dans un environnement tel que le mien, c’est important d’avoir des maximes auxquelles se raccrocher)
De temps en temps, je dois bien l’admettre, j’en veux à mon papa de m’avoir fait naître là, entre deux bouts de bétons. Lui, évidemment, il est haut, ses branches sont solides et son tronc large. Il n’a pas peur des chiens et c’est lui que craignent les livreurs et les piétons, qui le contournent immanquablement. Mais moi, avec ma tige minuscule et mes deux petites pousses qui ne sont même pas des feuilles...
Je me surprends à rêver de paysages de campagne, ceux que Jean-Pierre Pernaut décrit si bien dans son journal de 13H que la vieille dame sourde du premier (la voisine des jeunes) écoute à fond tous les jours. Je peine même à imaginer un monde où nous serions majoritaires, de vastes étendues vertes où les humains, leurs chiens et leurs menaces seraient absents ou du moins en nombre limité. L’homme et la nature vivant en harmonie... Je me dis souvent que monsieur Pernaut est plus un conteur qu’un journaliste !
Après le deuxième mouvement de la valse des pieds, lorsque les lumières douces du crépuscule laissent place à celles glaciales des réverbères, les choses se calment pour moi. D’accord, le chihuahua maudit revient, mais je suis tellement content d’avoir survécu à la journée que ses jets acides ne m’impressionnent plus. Les passants se font plus rares, la plupart titubent et m’évitent de fort belle façon. Aux fenêtres des immeubles, les lampes s’éteignent. Souvent, je me retrouve juste dans le petit raie doré qui s’échappe de l’interstice des volets des jeunes du premier. J’ai presque l’impression d’être au soleil et je peux enfin me détendre jusqu’au prochain passage du camion qui pue.

Ce matin était un jour comme les autres. Le camion, la blonde et son chien, puis les passants, innombrables. Et au milieu, moi, tentant de croître sur mon béton sale. Et puis elle est venue à 13H, la terrible nouvelle, de la voix même de celui qui m’avait tant faire rêver. La mairie allait lancer ses grands travaux de jardinerie. Taille des branches, ramassage des feuilles et désherbage des trottoirs. A Paris, la place des arbres, c’est dans un cercle désigné. Moi, qui avait profité d’un peu de terre dans une fente du bitume pour éclore, quel sort me réservaient-ils ? Allait-on m’arracher, me jeter dans une benne au milieu de mes semblables et je resterai là, à attendre d’être complètement desséché ? Ou m’aspergerait-on de désherbant jusqu’à ce que je pourrisse sur place ? Les choses ont tourné très vite dans mon esprit.
Lorsque je suis parvenu à me calmer, le journal était fini. A la télévision, dans une publicité, une banque annonçait un arbre parrainé pour un compte ouvert... Comment on s’inscrit ? Je suis petit mais je suis costaud ! La preuve ! Une graine, un peu de terre et hop, je suis apparu ! Je ferai fort belle figure dans votre jardin !
Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort... Je veux continuer à être plus fort ! S’il vous plaît, adoptez-moi ! S’il vous plaît, laissez-moi vivre !
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