Voici une nouvelle de Stephan Lewis, très bonne lecture
L'Enigme de la Dame Blanche par Stephan LEWIS
12 juin 2002 ...
Il est un peu plus de vingt deux heures ...
Un sexagénaire à l’aspect distingué reflétant visiblement le flegme britannique, roule tranquillement pleins feux au volant de sa Jaguar E sous un ciel piqueté d’une myriade d’étoiles. L'esprit ailleurs, il se dirige vers Lavelanet, petite commune de l’Ariège.
Il vient de dépasser la bretelle de Foix et il ne lui reste qu’une dizaine de kilomètres à parcourir. D’un geste machinal, notre homme allume la radio et prête une oreille distraite aux nouvelles condensées, que donne une speakerine à la voix agréable. La nuit est lumineuse, l’air tiède et malsain. Le véhicule vient de négocier un virage serré, lorsque dans le faisceau de ses projecteurs le chauffeur distingue une forme blanche plantée au milieu de la chaussée à moins d’une cinquantaine de mètres de distance. Surpris, il décélère jusqu’à stopper à hauteur d’une jeune fille toute de blanc vêtue.
Il fait aussitôt coulisser sa vitre...
- Bonsoir mademoiselle ... Vous allez vous faire renverser ! Que faites-vous donc par ici à pareille heure ?... s’étonne ce dernier en s’exprimant avec un léger accent anglo-saxon.
- Je me rends à Lavelanet... Pouvez-vous m’emmener enville ? C’est là que j’habite... indique la jeune personne d’une voix sourde et mécanique, dont le visage reflète une pâleur des plus singulières.
Bien que surpris par la tonalité de sa voix, le conducteur lui a retourné un sourire pincé, mais indulgent. Avec un léger haussement des épaules, il s'est incliné pour lui ouvrir galamment la portière et l’invite à s’installer sur le siège avant. Puis le véhicule poursuit aussitôt sa route...
Chemin faisant, notre homme détaille furtivement sa passagère à la dérobée, d’un œil réservé et discret par-dessus ses petites lunettes qu’il porte sur le bout du nez ... 19-20 ans. Vêtue d’une robe blanche très années 60. Plutôt agréable à regarder, bien que curieusement pâlotte et ... peu bavarde, ne soufflant même le moindre mot ; l’autoradio qui diffuse un programme de musique légère meublant à lui seul cette morne atmosphère.
Le chauffeur fait encore quelques tentatives pour nouer conversation, mais ses efforts demeurent toutefois infructueux, sa passagère ayant adopté une passivité quasi alarmante. Elle demeure inexplicablement silencieuse et immobile, un peu raide sur son siège, étrangement indifférente à tout ce qui l’entoure, presque absente.
Ils roulent depuis maintenant une dizaine de minutes. Un silence gênant, presque pesant règne à bord, lorsqu’une pluie tiède et pénétrante se met soudainement à tomber avec une extrême violence. De grosses gouttes s’écrasent sur le pare-brise, alors que la berline vient de dépasser le panneau signalant leur destination.
La pluie s'abat en un véritable déluge, comme si une main géante avait ouvert un titanesque robinet. Une bourrasque souffle même soudainement sur la commune, tandis que la Jaguar emprunte la rue totalement désertée, éclairée succinctement par quelques enseignes au néon restées allumées.
La jeune fille désigne bientôt une habitation à peine distincte, perdue au fond d’un grand parc.
- C’est ici que j’habite... indique-t-elle d’une voix plutôt froide en remuant à peine les lèvres.
N'y accordant aucune attention particulière, le conducteur lui propose courtoisement son imperméable, le temps pour sa passagère occasionnelle d’aller quérir un parapluie afin d’être en mesure de lui restituer son bien.
Sans la moindre formule de remerciement pour son bienfaiteur, elle a jeté le vêtement de pluie sur ses frêles épaules avant de se diriger d’un pas lent vers le lourd portail qui s’est ouvert en grinçant sinistrement. Puis, elle s'est fondue dans la nuit.
Son moteur tournant au ralenti et après avoir essuyé la buée qui se déposait sur la vitre d’un revers de la main, le chauffeur enfonce une allumette craquante dans le fourneau de son brûle-gueule. Il décide de patienter en écoutant distraitement la radio, sous l’égrenage incessant des va-et-vient monotones de ses balais d’essuie-glace qui se sont emballés pour chasser le voile hydrique ruisselant en continu sur le pare-brise.
La rue est à présent balayée par des trombes d’eau qui se déversent sur la bourgade prise au sein d’un violent orage.
Dix minutes se passent au cœur d’un silence seulement troublé par les battements de la pluie torrentielle qui a redoublé d’intensité, sans que la jeune fille n’ait refait son apparition.
Après avoir réprimé un mouvement d’impatience assorti d’un soupir de lassitude, le conducteur s'est rangé prudemment sur le côté de la chaussée contre la bordure du trottoir, avant de couper les gaz et d'éteindre ses phares. Puis, il relève frileusement le col de son veston pour se ruer, la tête rentrée dans les épaules, sous la pluie battante et le vent qui souffle en rafales, en direction du portail resté entrouvert.
Il traverse à présent le parc d’un pas pressé en frissonnant dans la nuit froide. Après avoir gravi les quelques marches menant au perron de l’habitation, il a trouvé refuge sous le porche protecteur de la porte d’entrée.
Un léger trait de lumière filtre à travers les volets de l’une des grandes baies vitrées. Avec un geste d’humeur, il s’éponge succinctement le visage, chasse nerveusement une mèche rebelle collée sur son front partiellement dégarni et essuie précautionneusement les verres de ses binocles. Sa redingote ruisselle de pluie, aussi se décide-t-il sans plus attendre et au risque qu’on le prenne pour un importun, à utiliser la sonnette ...
- Quel toupet !... murmure-t-il entre les dents... La jeunesse d’aujourd’hui est d’une ingratitude !
Le parc vient de s’illuminer, dévoilant ses pelouses verdoyantes et les massifs fleuris qui le tapissent… Mais la porte s'entrouve craintivement sur un homme âgé et squelettique, au faciès en lame de couteau et aux cheveux blancs. Il porte un vêtement d’intérieur. La mine étonnée et méfiante qu’il affiche ne surprend pas outre mesure son visiteur, étant donné l’heure avancée de la nuit.
- Cher monsieur, pardonnez mon intrusion à cette heure tardive ... s’excuse ce dernier sur un ton empressé en prenant un air navré assorti d’un sourire gaufré... J’aurais souhaité récupérer la gabardine que j’ai prêtée il y a un quart d’heure à la jeune personne que je viens de déposer.
Le vieil homme le dévisage d’un air interloqué à l’instant où surgit à sontour une femme d’un âge avancé, certainementl’épouse venue à la rescousse. Elle lui retourne elle aussi un regard sans équivoque, empreint d’une évidente suspicion.
- Il n’y a aucune jeune personne ici... rétorque le vieillard d’une voix sèche et courroucée, visiblement sur ses gardes... Vous devez vous tromper d’adresse monsieur. Il y a assurément erreur... ajoute-t-il d’un air farouche en ébauchant même un geste d’indifférence, voire de mauvaise humeur.
Poussée par une main rageuse, la porte a claqué au nez de ce visiteur visiblement indésirable.